Théâtre et handicap : organiser un atelier de sensibilisation sur les handicaps invisibles
en bibliothèque universitaire

Le nombre d’étudiants en situation de handicap augmente chaque année. Pourtant, cela ne se voit pas forcément. Comme pour l’ensemble de la population, la grande majorité de ces handicaps sont, en effet, invisibles. De quoi parle-t-on exactement ? Que signifie « invisible » ? Comment cela se manifeste-t-il au quotidien ? Et comment, en tant que professionnels universitaires, accompagner au mieux ces étudiants ?

Pour aborder ces questions, les bibliothèques universitaires de Grenoble ont obtenu un financement IDEX pour porter un projet de sensibilisation aux handicaps, inscrit dans les actions du Schéma directeur de la vie étudiante.

Porté par la mission Accessibilité des bibliothèques, ce projet comporte un volet documentaire, avec l’acquisition de nombreux documents de sensibilisation (bandes dessinées, romans, ouvrages universitaires et professionnels…) et un volet formation-action culturelle sur les handicaps invisibles à destination du personnel universitaire. L’enjeu était pluriel : contribuer à la sensibilisation du public par un choix de documents variés balayant aussi largement que possible la question de la maladie et du handicap, valoriser la bibliothèque comme centre de ressources sur ces questions pour le personnel universitaire, les étudiants et au-delà avec la mise à disposition de bibliographies thématiques, et enfin proposer une forme artistique pour éveiller les consciences et ouvrir le débat. La meilleure des façons pour approcher ces questions est, en effet, de faire un pas de côté pour, précisément, apprendre à questionner « l’invisibilité », mieux « voir » et mieux agir.

Mardi 21 juin après-midi, un spectacle inédit a ainsi été proposé au personnel universitaire pour se former à ces questions : Chronique(s), de Marie Astier. Docteure en Arts du spectacle, spécialiste du handicap, comédienne et formatrice, elle signe un texte très fort, drôle et sensible : une plongée dans ses souvenirs qui nous raconte comment sa maladie invisible a transformé de l’intérieur son enfance et son adolescence. Le spectacle a été suivi d’un temps d’échange avec le public, alimenté par les interventions de la chargée d’accessibilité au Service accueil handicap de l’Université Grenoble-Alpes, et la responsable de la mission Accessibilité des Bibliothèques universitaires.

Pour accompagner cet événement, une bibliographie a été préparée sur les maladies chroniques (hors troubles psychiques) qui vous propose une sélection de documents disponibles dans les Bibliothèques universitaires de Grenoble.

D’autres bibliographies thématiques suivront sur les troubles psychiques, la surdité, les troubles dys et l’autisme.

Ce projet a constitué un moment fort de sensibilisation, à la fois en interne dans les bibliothèques par la collaboration entre les différents services concernés, et au sein de l’université, avec des partenaires de différentes directions (Service accueil handicap, Direction de la culture, Direction de l’environnement social…) et la diversité du personnel touché (enseignants-chercheurs, personnel administratif, personnel des bibliothèques…). Un exemple qui rappelle à quel point œuvrer pour l’accessibilité, c’est aussi créer du lien.

Rencontre avec Marie Astier, autrice et comédienne de Chronique(s), par Bélinda Missiroli, responsable de la mission Accessibilité des Bibliothèques universitaires de Grenoble.

  • Pourrais-tu te présenter brièvement ?

La question de la présentation de soi est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Nous y consacrons justement tout le début du spectacle : comment se présenter ? que (ne pas) dire de soi ? dans quel ordre ? Mais bon, je vais essayer quand même ! Je m’appelle Marie Astier, je suis artiste et chercheuse en Arts du spectacle et je m’intéresse particulièrement au(x) handicap(s), sans doute parce que moi-même je vis avec une maladie chronique.

Côté théorie en 2018 j’ai soutenu une thèse intitulée « présence et représentation du handicap mental sur la scène contemporaine française » que j’ai réalisée sous la direction de Muriel Plana à l’Université Toulouse Jean Jaurès. Côté pratique en 2013 j’ai fondé la Compagnie En Carton, qui défend la vulnérabilité comme une valeur esthétique et politique et avec laquelle j’ai créé plusieurs spectacles dont HOSTO en 2015, Hors de moi en 2019 et Chronique(s), sur lequel je travaille actuellement.

  • Comment est né le projet de spectacle Chronique(s) ?

J’ai eu envie de travailler sur Chronique(s) après l’expérience Hors de moi, adapté du livre de Claire Marin. L’auteure y raconte comment, à 20 ans, elle a découvert qu’elle était atteinte d’une maladie auto-immune.

Lire Hors de moi a été une expérience bouleversante. J’avais l’impression que Claire avait réussi à exprimer des émotions et des sentiments que j’avais ressenti, sans parvenir à les exprimer. L’autre chose qui m’a plu c’est que loin du vocabulaire martial habituellement mobilisé pour parler de la maladie, Claire Marin emploie la métaphore de l’amant possessif. Ça été pour moi un vrai déclic. Pourquoi vouloir se battre contre une maladie qu’on ne sait pas guérir ? Il faut apprendre à vivre avec. Mais comment vivre avec la maladie sans lui céder toute la place, dans sa tête et dans son corps ? Ce corps malade, médicalisé, est-il encore intime ? Ce corps différent est-il sexuel ? La maladie n’est-elle pas une excuse pour pleurer d’autres douleurs ? Finalement, n’est-ce pas moi qui me définis avant tout comme une personne malade ? Très vite, j’ai eu envie de partager mes découvertes et mes questionnements avec d’autres, car en France nous sommes plus de 20 millions à vivre avec une maladie chronique. C’est aussi un véritable défi de comédienne que je me lançais : comment incarner ces mots si puissants pour qu’ils touchent le public autant qu’ils m’avaient touchée ?

Mais compte tenu de la complexité du texte (essai philosophique) et de la théâtralité adoptée (moments de nudité partielle), Hors de moi s’adresse en priorité à des spectateurs et spectatrices de plus de 15 ans.

Avec Chronique(s), j’ai envie de parler (aussi) aux jeunes, de leur transmettre mon expérience parce que je sais, que quand j’étais enfant et ado j’aurais bien voulu voir un spectacle qui me parle, qui me raconte. Pour me sentir moins seule et moins anormale.

Avec la complicité d’Ulysse Caillon, j’ai donc plongé dans mes souvenirs personnels – et dans les archives familiales – pour raconter au public comment ma maladie invisible et omniprésente a transformé de l’intérieur mon enfance et mon adolescence.

  • Le spectacle que tu as joué à l’Université Grenoble Alpes s’inscrivait dans le cadre d’un atelier de sensibilisation aux handicaps invisibles, et était suivi d’un temps d’échange avec le public. Qu’est-ce que cela représente pour toi ? Comment vis-tu ces moments ?

Ces temps d’échange sont très importants pour moi car un des enjeux du spectacle est de créer du dialogue : entre la scène et la salle (comme on dit !) mais aussi entre les spectateurs/trices. Enfant puis adolescente, j’aurais bien aimé qu’un spectacle me fournisse l’occasion de parler avec mes camarades, mes professeurs, mes parents, mes médecins… de ma vie quotidienne avec la maladie.

Et, en ce début de création, ces temps d’échange me rassurent car même si je parle de choses très intimes et personnelles, beaucoup de spectateurs et spectatrices viennent me dire que Chronique(s) leur a parlé voire qu’elles avaient l’impression qu’il racontait leur histoire !

Quelques témoignages du public à l’issue de la représentation :

« Ce spectacle sur les handicaps invisibles m’a fortement impressionnée ! J’ai tout d’abord été très émue et me suis retenue de pleurer à plusieurs reprises. La sobriété de la mise en scène faisait un contraste avec la force émotionnelle qui se dégageait du spectacle. J’ai vraiment aimé la mise en scène, le jeu des deux acteurs, et bien entendu la façon de traiter un thème difficile, en mélangeant humour et sérieux. »

« J’ai beaucoup aimé le spectacle de cet après-midi, c’était touchant, drôle, interpellant … c’est vraiment bien qu’il y ait ce genre de propositions, pour le personnel ou plus largement, bravo ! »

« Merci beaucoup pour cet atelier très riche, à la fois touchant, grave et bourré d’humour. C’est profond et ça ouvre énormément de questions. Les échanges à la fin étaient particulièrement instructifs. »


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